Illustrer des thématiques difficiles
Le graphisme et l’illustration ne servent pas qu’à vendre des produits ou des services. Ils peuvent servir à communiquer sur des thématiques assez difficiles afin de sensibiliser, d’informer, de prévenir.
Depuis de nombreuses années, je travaille sur des projets d’éducation permanente (éducation populaire en France) et de promotion de la santé. J’ai travaillé sur la solitude des personnes âgées, le désir ou le non-désir d’avoir un enfant, les violences gynécologiques et obstétricales (les VGO), l’aide aux personnes âgées, les maladies chroniques chez un public fragilisé, l’exil, la migration…
Et j’espère pouvoir contribuer encore et longtemps à la diffusion de ces thèmes.
Dans cet article je reste dans le domaine de l’illustration, de la représentation imagée.
Ce que nous allons voir aujourd’hui
- Comment représenter un sujet délicat sans provoquer le rejet ?
- 3 exemples : violences gynécologiques, addictions et parcours migratoire.
Comment faire pour représenter un sujet délicat sans provoquer le rejet ?
➜ Garder une approche positive
Même quand la thématique est négative et dure et sans minimiser les faits, il est possible de la représenter de façon positive ou du moins neutre. Éviter de montrer le côté trop sombre afin que les personnes concernées s’y retrouvent sans avoir un reflet de leur situation qui pourrait empirer leur estime de soi.
➜ Avoir une approche non orientée
Avant de commencer une illustration, je mets de côté tous mes préjugés et essaye de faire le vide dans mon cerveau pour démarrer sur une base neutre. J’utilise beaucoup la technique des cartes mentales. Je note autant ce qui pourrait être dessiné que ce qui doit être évité.
➜ Éviter de heurter, choquer
En publicité, le neuromarketing sert à enclencher l’envie d’achat grâce aux émotions : l’envie, le désir, le plaisir. Certaines campagnes de prévention (alcool, conduite à risque…) utilisent des images chocs pour susciter des émotions vives et fortes (tristesse, peur, stress). La réaction est instantanée et assez impulsive. La peur peut entrainer un sentiment de rejet, de dégoût ou encore de paralysie.
Plus d’info : Usage de la peur et médias de préventions : quelques repères méthodologiques
➜ Éviter de culpabiliser, stigmatiser
Mettre en lumière une situation problématique n’est pas la pointer du doigt !(OMG, je vais déposer un copyright pour cette phrase ^^). Pas besoin d’en rajouter une couche, la situation est assez difficile comme cela. Tout comme la peur, la culpabilisation risque d’entrainer la paralysie. La personne n’est pas forcément entièrement responsable de sa situation et n’a pas forcément toutes les clés pour changer.
Plus d’info : Pour changer, la peur ou la culpabilité ?
Exemple 1 : représenter les VGO sur les femmes placées en institution
Cette illustration a été réalisée pour la couverture du rapport Les violences gynécologiques et obstétricales (VGO) vécues par les femmes avec une déficience intellectuelle vivant en institution.
Déjà, rien que le titre cumule les situations difficiles. J’ai cogité sur plusieurs idées, en gardant en tête de vouloir représenter :
▶ les femmes avec différentes morphologies;
▶ leur invisibilité et la pression qu’elles subissent;
▶ un visuel et mise en page attractifs et qui facilitent la lecture.
J’ai été marquée dans ce rapport par le manque de concertation et de dialogue entre les personnes concernées et celles qui les entourent, les soignent. Comme si tout était déjà inscrit et surtout comme s’il n’y avait pas besoin de donner d’explications.
✏️ L’illustration et les motifs
▪ Je voulais quelque chose d’assez simple mettant les femmes en avant. J’ai représenté 3 femmes de morphologies et de postures différentes (passive, résignée). Les parties du corps liées à la santé sexuelle sont invisibles, comme si elles n’existaient pas, on voit à travers elles.
▪ La spirale jaune représente la société, l’environnement dans lequel elles évoluent. Les soins passent aléatoirement. Les violences font partie de ce système, elles passent, on n’en parle pas beaucoup.
▪ Les motifs en arrière-plan représentent les différentes thématiques abordées dans l’étude : les soins, le désir de maternité, la contraception, le manque de dialogue, la loi…
🎨 Le choix des couleurs
hors de questions de représenter un univers trash et dark (ni funky non plus, on est bien d’accord). Comment représenter un univers féminin, sans tomber dans les stéréotypes ? J’ai repris les teintes des logos des associations partenaires pour en tirer un rose/violet et j’ai contrebalancé avec du jaune, du vert et de l’orange. Le tout reste donc assez vif sans tomber dans l’excès.
Exemple 2 : représenter les addictions
Cette illustration fait partie de l’outil pédagogique Babbel Boost : photo-expression pour les professionnel·les de santé travaillant avec des personnes atteintes d’une maladie chronique. Cette carte représente la problématique des addictions.
Il y a autant de mode de consommation que de produits. Nous aurions pu choisir une représentation facile de la consommation de drogue : une personne défoncée, seule, pauvre, maigre dans une ruelle sombre par exemple.
La difficulté était de représenter différentes addictions et différents comportements :
▶ addictions au chocolat, à la drogue, à l’alcool, aux écrans…;
▶ plusieurs formes de consommation : en société, seul·e, de manière festive, légalement, illégalement…
✏️ L’illustration
L’illustration a plusieurs lectures, des personnes aux consommations différentes peuvent s’y retrouver, même celle dont l’addiction concerne “simplement” le sucre. Elle montre aussi que les tentations sont fortes en société. Avec le recul, j’aurais pu représenter une pharmacie également.
🎨 Le choix des couleurs
C’est la nuit qui est représentée, juste parce que c’est impossible de représenter la nuit et le jour en même temps ! Les couleurs font partie de la palette de couleurs utilisée pour les autres illustrations de ce photo-expression.
Exemple 3 : représenter les femmes migrantes et réfugiées
Cette illustration a été réalisée pour la journée d’action organisée par le Cire asbl ayant pour thème femmes et migration. Elle a servi pour faire l’affiche et annoncer le programme. J’ai utilisé beaucoup de symboles pour cette représentation pour une approche plus poétique. L’ensemble de l’image représente une femme qui espère tout en lutant.
▶ Le mode de transport et les lieux : la traversée des montagnes, des mers, l’oiseau en forme d’avion.
▶ La culture différente : je me suis concentrée sur des motifs inspirés des motifs africains.
▶ Mais aussi l’universalité avec une forme ronde symbolisant la planète.
▶ Les difficiles conditions climatiques : neige, mauvais temps…
▶ L’espoir qui jaillit des mains, l’humanité et la lutte avec le cœur dans le poing fermé.
Au final, l’illustration est positive tout en représentant les difficultés rencontrées par les migrantes. Elles sont mises à l’honneur plutôt qu’en mode victime.
Bon à savoir
📌 Le sentiment de peur amène une réaction émotionnelle immédiate, mais souvent de rejet.
📌 Même le sujet le plus tragique peut être représenté de façon poétique et imagée.
📌 Suggérer plutôt que de réaliser une image au plus proche de la réalité.